turn me on with your electric feel. (arne)

Ce qui avait été contrainte par le passé relevait désormais de l'habitude. Ces heures d'astreinte qu'elle avait longtemps cru gâchées à servir une communauté qui ignorait jusqu'à même son existence et se foutait certainement royalement de ce qu'elle pouvait accomplir, dont elle avait même été jusqu'à penser dans certains moments de pessimisme irraisonné qu'elle ne souhaitait en réalité que son échec personnel, aujourd'hui Sika les abordait avec une sérénité qu'elle ne s'était jamais connue et qui ne cessait de lui faire prendre toute la mesure des progrès que ces travaux d'intérêt général avait eu comme conséquence sur sa personne. Car si durant les premières heures, elle avait répété à maintes reprises qu'elle ne regrettait pas son geste et qu'elle irait volontiers trouvé à la première occasion cette enflure qui l'avait faite condamner, c'était aujourd'hui simplement le désir de bien faire qui l'animait. Sorte de routine agréable qui vous empêche d'emprunter cette pente un peu trop glissante dont on ne réchappe jamais vraiment, de suivre cette personne qui vous le savez d'un coup d'oeil n'est que pure toxicité, ce qu'elle avait d'abord pris comme une punition réglait à présent sa vie comme du papier à musique, lui ôtant bien des soucis. Pour la première fois depuis longtemps, c'était comme si elle n'avait plus à se préoccuper de grand-chose sinon de suivre les instructions que la société attendait qu'elle raye d'une liste qu'on aurait à coup sûr savamment intitulée "repentance et évolution" ou toute autre connerie du genre sur laquelle Iason n'aurait pas manqué de faire un commentaire acerbe. En soi, c'était comme de goûter à un bonheur qu'on aurait rien fait pour mériter, un plaisir honteux qu'on finissait par désirer sans retenue.

Une fois ses huit heures de travail effectuées, ce qui arrivait normalement sur les coups de seize heures, elle pouvait vaquer à quelque occupation qui lui plaisait sans que personne n'y trouve rien à redire. Dès lors seule décideuse, elle créait librement sa propre liste et le premier point d'aujourd'hui était de passer faire un tour par Jordaan, et plus précisément par le Laura Dols où elle avait depuis bien longtemps ses habitudes et auquel elle n'avait pas mis les pieds pourtant depuis plusieurs mois. Sans qu'elle n'ait jamais été diagnostiquée atteinte de folie acheteuse, il n'était toutefois pas rare que ses venues là-bas se terminent en véritable razzia et alors qu'elle passait le seuil du magasin, Sika savait d'avance qu'elle en ressortirait les bras chargés de sacs. C'était du moins là tout ce qu'elle espérait, quelque peu fatiguée de cette immonde tenue qu'on l'obligeait à revêtir six jours sur sept. Si les plus novices pouvaient s'étonner de la quantité de vêtements que l'on trouvait à l'intérieur, ce n'était plus le cas de Sika qui se dirigea presque instinctivement vers le fond de la boutique, où sans qu'elle ait jamais su pourquoi, elle avait toujours trouvé les plus belles pièces de sa garde-robe. D'un bref coup d'oeil, elle put se rendre compte que l'endroit était désert et en conclut que c'était certainement dû à l'heure. Tous les éventuels clients devaient travailler et rien qu'à cette pensée, Sika eut un sourire sans trop savoir si son ancien rythme de vie lui manquait réellement.

Au bout de quelques minutes de recherche, une robe qu'on aurait cru avoir été trempée dans une moutarde pour le moins périmée lui attira l'oeil. Séduite par la couleur, elle la mit sur son bras, désireuse de l'essayer une fois son petit tour terminé. Rapidement perdue par les changements opérés, elle espérait pouvoir trouver quelqu'un à même de la renseigner mais c'était à croire que personne ne travaillait ici ou qu'ils étaient tous coincés derrière un portant ou dans l'arrière boutique. Loin d'être du genre à laisser tomber facilement, elle prit finalement la parole dans l'espoir que quelqu'un finisse par se dévouer à sauver la petite âme en peine qu'elle était actuellement. « Oyé oyé. Y aurait-il quelqu'un pour m'aider ? » Quelques secondes passèrent sans qu'aucun bruit ne vienne perturber la musique indie censée apaiser les clients mais qui cet après-midi jouait allègrement avec les nerfs de Sika, pas patiente pour un sou. « Je peux toujours partir sans payer si personne ne se dévoue, vous savez. » Non pas que c'aurait été son genre mais elle savait que cela ferait forcément accourir quelqu'un. Et de toute évidence, elle ne s'y trompa pas puisque vint finalement un jeune homme qu'elle n'avait jamais croisé par le passé mais dont elle sut déjà, en étudiant rapidement son visage, qu'il constituait à lui seul une raison plus que suffisante de revenir au magasin quand bien même elle eut été à découvert.

Les jours passaient et semblaient tous être les répliques les uns des autres. Métro, boulot, dodo semblait être un bon résumé des journées que passait Arne depuis quelques mois maintenant. Aujourd'hui, il n'avait eu cours à l'université que la matinée. Ayant quitté l'auditoire vers les onze heures et demi, Arne s'était dépêché de rentrer chez lui pour avoir suffisamment de temps pour donner à manger à Babbel aka le chat-qui-a-toujours-faim mais surtout se changer avant d'aller prendre son service au Laura Dols de la ville, magasin vintage où il était employé depuis un petit temps déjà maintenant et où il avait pris ses habitudes, bien qu'encore peu avenant avec les clients. Il était difficile lorsqu'il était dans votre nature d'être timide et introverti d'aller vers les gens pour leur faire la causette sur tel ou tel produit, mais il faisait de son mieux et sa patronne pouvait d'ores et déjà s'en estimer heureuse. Il avait donc réapprovisionné la gamelle du chat et revêtu ses vêtements de chez Laura Dols lorsqu'il verrouilla la porte de son appartement du quartier Jordaan. Par chance, le magasin ne se trouvait pas loin, l'affiche de chez Laura Dols se tenant fièrement dans le même quartier que l'appartement du blondinet. Très vite il arriva face au magasin et y poussa la porte qui fit retentir son traditionnel bruit lorsqu'un client entrait dans le magasin. Un sourire se dessina alors finement sur son visage lisse lorsqu'il rencontra le regard d'un client ou d'un autre. il se dirigea, son sac à dos à la main -rempli d'une tonne de sucreries et d'une bouteille de soda- vers le comptoir derrière lequel la patronne se tenait. « B.. bonjour Angela. » Les mots sortirent rapidement de sa bouche, et son regard se trouvait axé vers le sol. Ô que ces pieds étaient agréables à regarder en ce quart de seconde. Sa patronne le salua à son tour et lui intima de bien vouloir aller faire un peu de réassortiment. Bon, au moins il avait de quoi faire pour l'après-midi. Il acquiesça d'un signe de tête passif et alla déposer son sac à dos dans l'arrière-boutique derrière le comptoir. En repassant devant celui-ci, il attrapa à la volée la fiche de réassortiment avec le bic qui y était accroché. Il avait l'habitude de commencer par le fond du magasin lorsqu'il entendit une petite voix désespérée. Ou mal intentionnée, cela restait à déterminer. Il s'approcha alors de la cliente, son calepin à la main et tenta un sourire timide. « Je p.. peux peut-être vous aider. » C'était une proposition tout à fait professionnelle dite sur un ton neutre et las, le ton de la routine, presque blasé. Les bégaiements chez Arne, c'était régulier. Il soutint alors le regard de la jeune femme quelques instants histoire de voir ce qu'elle recherchait comme conseils. Il profita du moment de réflexion de la jeune femme pour fuir son regard analyseur et joua avec le ressort de son bic quatre couleurs, regardant à droite et à gauche en prenant bien soin de ne pas rencontrer le regard de la cliente. Ou des gens en général. Arne ne se sentait plus sécurisé lorsqu'un regard étrangé se plongeait dans le sien. C'était comme s'il était épié, comme s'il était espionné, que l'on lui volait ses propres pensées alors qu'il ne voulait pas les partager. Dès lors, ses yeux restaient pour la plupart du temps rivés sur le décor environnant.

Le petit détail qui fait passer un moment du banal à l'unique, ces pour et ces contre qu'on cherche à établir afin de justifier un choix fait avant qu'il y ait même eu lieu de s'interroger sur quoi que ce soit, ce paramètre X ou Y qu'on occulte parfois volontairement parce qu'on a trop de ce qu'il pourrait engendrer, toutes ces choses qui n'ont en fait que l'importance qu'on choisit de leur donner, Sika n'y accordait pour ainsi dire grand intérêt. Au gré du vent, des battements de son coeur, de la vie tout court en fait, elle avait plutôt choisi de rythmer ses pas. Elle se souciait ainsi peu des marches à suivre et des codes, plus parce qu'elle n'en retenait pas la moitié que par simple désir d'aller à contre-courant de tous cependant. Les seuls aspects du monde que son cerveau semblaient bien vouloir enclin à se rappeler étaient en vérité les visages qui croisaient sa route ; du petit grain de beauté sur la lèvre qu'elle finit par oublier au regard terne qu'il ne tente même plus de dissimuler, Sika gardait tout en tête. Comme si au bout du compte cette connaissance des visages pouvait par quelque miracle tout lui faire comprendre du mystère de l'âme cachée derrière.

Elle avait beau sentir sa gêne, qu'il lui transmettait au fur et à mesure que les secondes s'égrenaient, elle n'en détournait pas pour autant les yeux. Éprouver pareille timidité émaner d'une ossature aussi développée que celle qu'on offrait à sa vue ne l'en rendait que plus touchant aux yeux de Sika pour qui la réserve de ses interlocuteurs semblait toujours agir comme un aimant. Si certaines ne pouvaient résister à une tablette de chocolat, la jeune femme, elle, ne savait en général dire non au genre humain dans son ensemble. Ainsi, croyait-elle tomber amoureuse tous les quatre matins. A le regarder ainsi tapoter nerveusement le ressort de son stylo, Sika croyait deviner dans l'imaginaire qu'elle se plaisait à créer perpétuellement quel mal tourmentait son inconnu, son histoire ne pouvait être qu'à l'image de son visage, candide mais destructrice. C'était du moins là son sentiment.

« Oui, ce ne serait effectivement pas de refus. Quelles chaussures verriez-vous avec cette robe ? Et tant qu'à faire, si vous saviez un sac, ça m'arrangerait également. » Sika ignorait si c'était la quantité de vêtements alentour qui lui donnait cette idée, la petitesse des lieux ou simplement ce qui lui paraissait être un bon trente centimètres entre leurs deux visages mais elle se sentait tout à coup anormale, presque inconvenante tant dans ses propos que de par son attitude. « Je me suis laissée aller ces derniers temps de ce point de vue-là donc tout conseil vestimentaire que vous aurez à me donner sera bon à prendre. » Elle avait l'impression d'entendre sa mère et à cette idée, elle crut avoir un haut-le-coeur. C'était bien la dernière personne à qui elle aurait voulu ressembler, même après Gollum - et encore, ils n'étaient pas si différents. Lui tendant la robe, elle esquissa un bref sourire, souhaitant simplement que l'atmosphère se détende un peu et ne plus sentir sa peur l'envahir.